Le 13 juillet dernier, je terminais mon
stage à la bibliothèque et depuis, j’ai été très occupée à chercher un emploi
et un logement; pour ces raisons, je vous demande humblement d’excuser le
manque de mise à jour sur ce blogue.
Mais ne vous en faites pas, je pensais à
vous et j’ai, depuis deux semaines, bien envie de vous parler d’une réalité
japonaise qui fait soupirer ceux qui ont habité ici et qui surprend bien tous
les autres : je parle des agences immobilières.
Non, pas celles, comme Sakura House, Fujimi
et autres qui servent spécialement un public d’étrangers. Je pense au vrai
cauchemar, ces agences japonaises qu’on trouve à chaque coin de rue, affichant
souvent des logements libres avec un prix à vous faire rêver lorsque vous êtes
étranger et que vous payez le prix « tout inclus » de l’agence pour
gaijins.
Je pensais que tout serait simple, et je me
suis fait avoir. Aucun Japonais que j’ai consulté ne comprend pourquoi ce
système horrible fonctionne encore au Japon, mais il sévit et n’est
probablement pas à veille de disparaître. J’ai eu affaire à deux de ces agences
ces dernières semaines, et j’ai pu parler de mon expérience avec plusieurs
étrangers qui ont vécu la même chose.
Commençons par ce que je savais déjà :
au Japon, lorsque vous louez un appartement, en plus du loyer mensuel, l’agence
vous demandera deux montants supplémentaires lors de la signature du
contrat : le dépôt et une ignominie qu’on appelle joliment « le
remerciement ». Le dépôt est relativement compréhensible : il
correspond généralement à un mois complet de loyer, mais sera remis
intégralement à la fin de la période de location s’il n’y a pas eu de dégât et
si le logement n’a pas subit d’usure visible. Certains propriétaires sont plus sévères
que d’autres, mais en général, le prix du logement n’augmentant pas chaque
année comme au Québec, c’est assez raisonnable et même avantageux : un ami
à moi a vécu 6 ans dans le même logement et on lui a remis le montant intégral
du dépôt à son départ!
Le « remerciement » est tout
autre et je ne connais pas d’autre endroit au monde qui demande une telle
chose. Simplement dit, on donne à l’agent d’immeuble un montant correspondant
généralement à un ou deux mois de loyer. Si vous avez trouvé le logement par vous-même
et n’avez rencontré l’agent que pour la signature du contrat, cela ne change
rien : vous payez. Cela a de quoi décourager beaucoup de Japonais de
déménager, considérant que le prix des logements à Tokyo est extrêmement élevé
et qu’il vous faudra payer comptant au moins le triple de ce montant au premier
mois (loyer + dépôt + remerciement). N’oubliez pas que par dessus le tout
s’ajoute les frais d’électricité, de gaz, d’eau et parfois (souvent?)
d’entretient (un petit montant payé mensuellement au concierge).
Bon, jusque là, ce sont des questions
d’argent et si on a bien calculé et que tout va bien financièrement, ça va.
Non?
Non.
Ma seule expérience précédente de location
de logement a été à Montréal, mais plusieurs amis européens m’affirment que c’est
pareil dans leur pays : on visite le logement et si on aime, on fait une
demande au proprio, qui, s’il est un peu précautionneux, fera une enquête de
crédit sur son futur locataire. Si ça passe, vous signez le bail et voilà.
Au Japon, c’est toute autre chose...
Disons que vous avez vu dans une publicité
d’agence un logement que vous aimez. Vous vous présentez au bureau de l’agence
et signifiez votre intérêt pour ce logement à l’agent. On vous fait asseoir, et l’interrogatoire
commence...
Les questions auxquelles vous êtes
habitué :
« Quel visa avez-vous? »
« De quel pays
venez-vous ? »
« Quel est le but de votre visite au
Japon? »
« Vous serez au Japon pour combien de
temps? »
« Avez-vous un garant au Japon? »
Et ensuite...
« Où travaillez vous? Quel poste?
Depuis combien de temps? À contrat? Pour combien de temps? »
« Quel est votre salaire? »
« Quel est votre salaire? »
« Quel âge avez-vous? »
« Etes-vous mariée? »
« Quand pensez-vous vous marier? »
« Quand pensez-vous vous marier? »
« Aurez-vous des enfants un
jour? »
Et l’agent(e) prend en note vos réponses...
Pour une des visites d’agence, je me suis
présentée avec un ami japonais, question de faciliter l’échange. Grand mal m’en
fut! L’agente a pensé que c’était mon copain et s’est mis à lui poser des
questions très indiscrètes sur son emploi, son poste et (ce n’est pas une
blague), quand est-ce qu’il me marierait. À ce point j’étais complètement
outrée et ça a certainement paru dans mon expression faciale, car l’agente
s’est tournée vers moi et avec un sourire m’a dit, à peu près : « Je
ne peux rien te louer dans ta situation actuelle. Mais reviens nous voir quand
tu auras un travail ou que tu seras mariée! ».
Je l’avoue, je retenais des larmes de rage
quand je suis sortie de là, et mon ami, sans doute pour me remonter le moral,
me dit :« C’est comme ça ici, ils font tous ça, c’est
normal... ».
Ça, c’était ma deuxième agence, en laquelle
j’avais placé beaucoup d’espoirs puisque celle de la veille m’avait refusée
(«Revenez quand vous aurez un emploi!»).
Après, une connaissance m’a dit que même
l’emploi ne règle pas tout : il a un très bon poste dans une ambassade et
un contrat de travail de quatre ans au Japon. Plusieurs agences lui ont
toutefois refusé la location pour des raisons obscures. Il n’avait pas de
garant japonais (l’ambassade ne se porte pas garante pour ses employés), donc
il a payé une agence japonaise qui se porte garante pour vous (apparemment
beaucoup de Japonais ont recours à ce service très coûteux : un mois
complet de loyer).
Ensuite, il y a un autre obstacle pour
le gaijin : lorsque l’agence accepte votre candidature, elle vous demande
d’attendre une semaine, afin qu’elle consulte le propriétaire. Vous êtes à ce
moment-là sur une liste d’attente, et plusieurs demandeurs peuvent être sur la
liste pour un logement. On présente les candidats au propriétaire (d’où la
feuille que mon agente remplissait pendant l’interrogation...) et celui-ci
choisit celui qu’il juge le plus « apte » à remplir la noble mission
d’occuper son logement....
Il y a une règle non dite qui veut qu’on ne
fasse qu’une demande à la fois. L’agence vous permet donc seulement de choisir
un logement et s’attend à ce que vous n’ailliez pas voir ailleurs, mais ma
connaissance citée précédemment m’a dit qu’il lui est arrivé de faire une
demi-douzaine d’agences en même temps pour avoir une chance qu’une de ses
demandes soit acceptée.
Plutôt décourageant, non?
Cependant, vous serez soulagés d'apprendre que j’ai
trouvé un logement très bien et je déménage le 31 juillet. Aucune agence
impliquée : un couple d’amis connaissant le propriétaire, ils ont intercédé
en ma faveur et le tout a été réglé très facilement. Alleluia!
Sur une autre note, mercredi j’ai eu la
chance de participer à une visite organisée exclusivement pour les membres de
la Japan Library Association, à la Toyo Bunko de Komagome (une des cinq plus
grandes collections de documents orientalistes dans le monde), grâce à mon
ex-patronne de la Nichifutsu Bunkan qui a substitué son nom au mien sur la
liste.
La collection Morrison exposée en intégralité au musée. |
Il y avait d’abord une présentation de la bibliothèque dans une très
belle salle de conférence du bâtiment, puis une visite des magasins
(bizarrement aux étages supérieurs plutôt que dans les sous-sol, comme c’est
souvent le cas pour des raisons de température et de protection contre les
séismes) avec la présentation de certains ouvrages très anciens ou très
rares : premiers textes imprimés du Japon, documents manuscrits des
premiers Jésuites en « Extrême-Orient » (je déteste ce mot, mais
c’est bien celui qu’on utilisait à l’époque).
En fait, la bibliothèque a été fondée par
Iwasaki Hisaya, troisième président de Mitsubishi (oui, Maman, c’est le
petit-fils de Yataro dans Ryoma-den!) et avide collectionneur d’ouvrages en
langues étrangères, qui acheta la collection privée de l’Australien George Ernest
Morrison, pour un montant qui dépasse en monnaie courante les 3 millions de
dollars (!). La collection de Morrison compte plus de 30 000 ouvrages, avec une
énorme quantité de documents très rares, dont près d’une centaine de copies
différentes des voyages de Marco Polo, dans des langues diverses. Ensuite,
Iwasaki, puis la fondation Mitsubishi, ont continué à ajouter à la collection. Après la guerre, le gouvernement japonais est devenu propriétaire de la
bibliothèque, puisque Mitsubishi éprouvait des difficultés financières, mais il
y a quelques années Mitsubishi a racheté la collection. Le bâtiment, le
mobilier, le nouveau musée (ouvert l’an passé) et le jardin témoignent de la
richesse de la bibliothèque, chose rare à cette époque où la culture passe
après tout...
J’apporte ici une précision que j’aurais dû
amener plus tôt : le terme « bibliothèque orientaliste » est
utilisé pour décrire une collection de livres étudiant « l’Orient »
d’un point de vue « Occidental ». En termes moins pompeux et
ethnocentristes, cela désigne l’étude des pays de l’Asie, de l’Europe de l’Est
et de la Méditerranée d’un point de vue Européen (et plus rarement Américain).
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