jeudi 5 juillet 2018

Gunma, pays de la soie

Il y a quelques mois, j'ai lu un compte-rendu de voyage à Kiryu, une ville du centre du Japon qui faisait autrefois partie de la route de la soie. J'en ai parlé à Tetsu et il a tout de suite dit: "Kiryu, c'est dans Gunma, donc à 2-3 heures de voiture de Tokyo. On ira bientôt, si tu veux!".
Si je veux? Évidemment!




Donc voilà, on a cherché un ryokan (auberge japonaise) dans la région et on a choisi un ryokan à Shibukawa, à une heure environ en voiture de Kiryu. Je reviendrai sur le ryokan plus tard, mais à propos de Shibukawa, on lit sur Wikipedia: "Shibukawa is at a central point (36°29′ N, 139°00′ E) of the Japanese archipelago and is thus known as the Bellybutton of Japan (日本のおへそ nihon no oheso) ".

Kiryu, et même Gunma en général, est un centre historique de la production de soie au Japon. On y a retrouvé un document datant du 8e siècle prouvant qu'à cette époque, la région payait ses taxes à la capitale en soie. Ça en fait l'endroit au Japon pour lequel on a la trace historique la plus ancienne concernant la production de soie.

À Kiryu, je voulais absolument visiter une manufacture de textile, ou plus exactement, vue ma passion pour les kimono, un endroit ou l'on produit des obi brodés selon la technique locale, "kiryu orimono". J'ai opté pour un des deux endroits présentés dans l'article que j'avais lu, et nous avons réservé pour une visite de la manufacture Goto orimono. Je ne l'ai pas regretté!

L'endroit était un peu dur à trouver, dans une dédale de rues étroites, mais nous avons finalement garé la voiture devant la porte ou un vieil homme nous attendait, comme s'il était immunisé à la chaleur - à Gunma, il fait toujours plus chaud qu'à Tokyo: 38 celsius, ce jour-là.



Le monsieur, dans les 80 ans, nous a expliqué que la manufacture appartient à sa famille et qu'il a grandi sur les lieux. Le bâtiment original a été érigé pendant l'ère Meiji (fin du 19e siècle) et modifié à plusieurs reprises: le bâtiment actuel consiste d'une petite partie de la façade originale, puis d'une partie rénovée au début de l'ère Showa. Les machines datent surtout de l'ère Taisho (années 1910-1920).



Autrefois, on faisait la teinture de la soie sur place, mais ce n'est plus le cas. La partie du bâtiment dédiée à la teinture existe encore cependant et le monsieur nous racontait ses souvenirs d'enfance à regarder les gens travailler.



La partie avec les métiers à tisser est énorme et entièrement faite de bois, avec un plafond haut et des poulies, des rails sur lesquelles sont montées les parties supérieures des métiers à tisser Jacquard. C'est très impressionnant! L'architecture est pensée en fonction des heures de travail et de la luminosité, puisque les employées doivent bien discerner les fils et faire attention aux couleurs. Lors de notre visite, personne ne travaillait, mais 4 postes étaient préparés, avec des obi commencés. Je n'ai pas posée la question, mais j'imagine que la production est ralentie à un point tel que personne ne peut être employé à temps plein (alors qu'il y a au moins une dizaine de métiers à tisser).
D'ailleurs, les 4 ouvrages en cours étaient de riches obi de soie et de fils d'or et d'argent (véritable - c'est une question que les gens posent souvent), tous pour enfants: des obi pour le "shichi-go-san", une cérémonie fêtée lorsque les enfants atteignent 3 et 7 ans (filles) et 5 ans (garçons). En fait, je n'ai jamais entendu parler de gens qui achètent le costume du shichi-go-san: ce sont plutôt des boutiques spécialisées en kimono qui les louent, car une pièce est bien trop couteuse pour être achetée par un particulier, en plus pour un usage unique.





Les clients de la manufacture sont donc des particuliers ou des entreprises prêtes à payer très cher pour une pièce unique faite de soie japonaise de haute qualité et produite dans une manufacture historique utilisant des métiers semi-automatisés (la machine tisse selon la carte, mais la tisserande supervise l'ouvrage attentivement et fait une partie des mouvements nécessaires). Ce n'est pas pour rien qu'il y a une ancienne expression japonaise pour dire que dans cette région, une femme gagne un meilleur salaire que son mari (puisque seulement les femmes peuvent travailler au métier à tisser).










Il n'y a pas que des particuliers riches et des entreprises, en fait, qui commandent des obi de Goto orimono: en plus d'utiliser les lieux pour plusieurs tournages (à cause du look Taisho-Showa des bâtiments), plusieurs productions ont commandé des obi fabriqués sur place. C'est le cas de la production Sayuri, pour laquelle on a tissé de riches Maru-obi (obi de maiko).

Les énormes maru-obi

Des hanhaba obi, le type le plus étroit de obi.

Rouleaux de tissus brodés


La visite de la manufacture Goto orimono fut vraiment un plaisir, malgré la chaleur intense! Même Tetsu, qui n'a aucun intérêt pour les kimono, a beaucoup apprécié, surtout pour les descriptions historiques.
D'ailleurs, tout ça aurait bien pu ne pas survivre à l'histoire, puisque apparemment les Américains avaient prévu cibler Kiryu pour leurs bombardements le 15 août 1945. Eh oui, le jour ou l'empereur a annoncé que le Japon acceptait les conditions de la déclaration de Potsdam, donc la fin effective de la guerre...

Suite du voyage dans un billet à venir...

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